Sur la route pour aller à son travail, Tim n’était jamais très bien réveillé. Les phares des voitures l’aveuglaient et la froideur de la nuit lui donnait envie de retourner bien au chaud sous la couette.
Comme tous les matins depuis qu’il était arrivé dans cette région, il roulait à pas d’homme sur les routes de campagne, car des nappes de brouillard l’empêchaient de voir à plus de trente mètres devant lui. Tim se disait souvent que ce brouillard était vraiment étrange, il n’en avait jamais vu progresser en nappes vaporeuses, flottant au dessus du sol et variant d’épaisseur selon les zones.
Ils avaient emménagés, lui et ses deux enfants, dans une maison appartenant à la soeur de Tim. Il y avait des champs à perte de vue, des animaux de toutes sortes – poules, cochons, chevaux, chèvres – car Emy avait créé un refuge pour les animaux d’élevages ainsi que pour ceux qui avaient été maltraités. Les enfants étaient fous de joie de vivre au milieu des animaux, de pouvoir jouer avec eux et leur faire des câlins. Emy s’occupait d’emmener les enfants à l’école les jours où Tim devait partir plus tôt, comme ce jour là.
Ils avaient déménagés car Tim avait pris un travail de bureau. Après plus d’un an de chômage, il ne pouvait pas de permettre de refuser, mais il ne s’était jamais imaginer vivre ici, ni ainsi. Les enfants étaient très heureux d’être à la campagne bien sûr, mais en ce qui le concernait, il n’était pas si enthousiaste, surtout lorsqu’il devait partir si tôt.
Toutefois, tout n’était pas si noir. Certes ce travail de bureau ne lui plaisait pas et ne lui convenait pas, mais grâce à lui, ils avaient enfin un peu d’argent pour pouvoir se faire plaisir. Le fait de déménager avait énormément plu aux enfants, Tim leur avait présenté ça comme un départ à l’aventure, dans une contrée lointaine, sombre et mystérieuse, pleine de secrets.
Sur la route, alors qu’ils imaginaient comment serait leur nouvelle maison, ils étaient arrivés de nuit et avaient été accueilli par cet épais brouillard, étrange et inquiétant. Alice, la plus grande, avait alors commencé à inventé des histoires pour faire peur à son frère. Elle avait toujours été douée pour imaginer des histoires, mais depuis leur arrivée, ses talents s’étaient décuplés. Elle prétendait voir des silhouettes au milieu du brouillard, ce qui avait pour effet de faire extrêmement peur à Léo. Tim lui avait demandé de ne plus raconter ce genre d’histoires, mais Alice n’en démordait pas, elle disait à qui voulait l’entendre – ou non – qu’il y avait des gens qui erraient dans le brouillard.
Malgré ses heures passées sur la route, Tim n’avait jamais vu de choses étranges. Il y avait bien cette fois, alqors qu’il rentrait tard le soir, où il avait cru voir quelqu’un sur le bord de la route, mais il était si fatigué qu’il n’aurait pas sût dire si c’était le fruit de son imagination ou bien une illusion d’optique. Ce qui était sûr, c’est qu’une fois arrivé à la hauteur de la silhouette qu’il avait cru voir, soit quelques millièmes de secondes plus tard, il n’y avait personne.
La journée avait été horriblement longue, Tim l’avait passé les yeux rivés sur son écran d’ordinateur, si bien que lorsqu’il avait relevé les yeux à dix-sept heures, la nuit était déjà tombée depuis longtemps. Les journées raccourcissaient de plus en plus, mais il lui semblait que c’était particulièrement vrai ici.
Sur la route du retour, ses yeux se fermaient tout seuls, et ce fichu brouillard commençait à être dangereux. Tim décida donc de s’arrêter un instant sur le bas coté, le temps de fermer un peu les yeux, pour repartir en toute sécurité. Il éteint les phares, ainsi que le moteur, s’emmitoufla dans son manteau et alors que ses yeux commençaient à papillonner, une voix derrière lui, lui demanda très gentiment :
-Excusez moi jeune homme, auriez vous l’amabilité de m’emmener chez Dorice, je suis affreusement en retard …
Tim sauta en l’air avant de se retourner sur son siège. Il se retrouva nez à nez avec un vieil homme. Il portait un long manteau en laine marron, des cheveux blancs avec un brushing parfait et un sourire avenant.
-Est-ce que tout va bien ? reprit le vieil homme, vous êtes affreusement pâle, vous voulez aller voir un médecin ?
Il semblait réellement inquiet, son sourire s’était effacé pour laisser place à une expression d’empathie. Il avait des yeux bleus très doux, et tendres, ceux d’un grand-père, tels que Tim les avaient toujours imaginé.
-Oh, toutes mes excuses, j’ai oublié de me présenter, je suis Donald Malcolm Mallard, enchanté. Je sais que ce ne sont pas des manières mais je suis vraiment très en retard, pourriez-vous m’aider ?
Retrouvant son sourire charmeur, il attendit un instant une réponse et, remarquant la manière que son potentiel chauffeur avait de le regardé, il se mit à rire de bon coeur.
-Toutes mes excuses, vraiment, je voulais tellement que vous me voyez que j’ai oublié de m’éteindre. Donald claqua des doigts, et d’un coup, il paru aussi sombre que son interlocuteur. On a tendance à oublier ce genre de choses au bout d’un moment vous savez … expliqua-t-il.
-Je ne comprends pas … balbutia Tim.
-Oh, bien sûr, il faut que je reprenne du début … J’était avec mon ami Walter, nous jouions à une partie de bongo endiablé, quand soudain je me suis souvenu que nous étions mardi. Or, le mardi est les jour de la soirée chez Dorice, et – cela reste entre nous – mais elle déteste tellement les retardataire qu’elle serait capable de m’éteindre pour plusieurs jours rien que pour se venger. Or, demain, mercredi, j’ai rendez-vous avec la plus délicieuse des septuagénaire, Marguerite. Elle est bien plus jeune que moi, je sais, mais nous nous aimons tant, et je ne voudrais pas avoir de problème … d’allumage voyez-vous. C’est pourquoi je me suis permis de monter dans votre voiture, espérant que vous pourriez m’emmener chez Dorice à temps.
Tim se retourna face au volant, les yeux écarquillés, il se tourna plusieurs fois pour vérifier qu’il y avait bien quelqu’un sur sa banquette arrière. Perdant légèrement l’esprit, il se pinça à de multiples reprises, alluma le moteur pour allumer et éteindre la lumière. Donald semblait perplexe.
-Première fois je présume ? Demanda-t-il avec une moue dubitative.
La bouche entrouverte et les yeux ronds comme des boules de billard, Tim hocha la tête de manière si rapide que Donald se demanda s’il ne faisait pas un arrêt cardiaque.
Le fantôme enseigna donc à son chauffeur une technique de respiration pour l’aider à se détendre, puis expliqua les coutumes de cette région à son hôte.
Ici, les fantômes vivent leur vie de la plus belle des manières. Ils se déplacent matin et soir grâce au brouillard. Ils passent la journée chez un ami, ou avec de la famille, et quand ils veulent rentrer, il leur suffit de prendre le brouillard, c’est un peu comme prendre le métro. Mais le brouillard est parfois assez lent, tout dépend du vent, et ce soir là, il n’y avait pas de vent.
-Mais pourquoi vous ne vous déplacez qu’en brouillard ? Demanda Tim.
-Mais parce que c’est bien plus rapide s’exclama Donald. On peut évidemment se déplacer sans brouillard, mais même sans vent, le brouillard nous permet de gagner un temps considérable.
Encore sonné de tout ce qu’il voyait et entendait, Tim décida finalement d’allumer le moteur et d’emmener Donald chez Dorice, pourvu qu’il ne soit pas trop tard.
-Et vous faites souvent ça ? Demanda le chauffeur.
-Aller chez Dorice ? Oui, tous les mardis, répondit le passager.
-Non, je veux dire, monter dans la voiture d’inconnus sans prévenir, rétorqua Tim.
Donald sembla offensé.
-Il n’est pas dans mes habitudes, jeune homme, de m’abaisser à ce genre de manège. Toutefois, de temps à autres, il m’arrive de prendre une voiture à la volée, généralement des gens du coin, éduqués, qui ont l’habitude et qui ne se mettent pas à hurler et à taper partout comme vous tout à l’heure.
Cette fois, c’est Tim qui sembla offensé.
Les deux hommes échangèrent un regard via le rétroviseur intérieur. Tim semblait blessé et Donald contrarié d’avoir été si bête, et méchant. Cet inconnu avait eu la gentillesse de le conduire chez son amie, après qu’il lui aie ans doute fait la peur de sa vie, et lui n’avait rien trouvé de mieux de l’insulter. Vraiment, Walter avait une mauvaise influence sur lui, et il le regrettait fortement.
-Je vous prie de m’excusez jeune homme … commença Donald.
-Tim, je m’appelle Tim, et je ne suis pas si jeune que ça, j’ai 38 ans … l’interrompit Tim.
-Et vous pensez que vous êtes vieux ? Hurla le vieil homme avant de se mettre à rire à gorge déployée. J’avais 87 ans quand je suis mort, en 1872, reprit-il les larmes aux yeux tant il avait ri.
Tim freina brutalement, propulsant Donald en avant.
-Mais vous avez perdu l’esprit ? Vous venez de me briser des cotes alors que en n’en ai plus depuis plus de 150 ans, vous cherchez à me rejoindre ? Hurla Donald sur le ton d’un grand-père en plus effrayé qu’en colère.
-Vous savez en quelle année nous sommes ? Demanda Tim si bas que son passager eu du mal à l’entendre.
-Bien sûr que je sais en quelle année nous sommes, je suis mort, pas ermite, ou sénile, rétorqua Donald, encore une fois piqué dans son orgueil.
Tim hocha la tête, évidemment, c’était idiot de penser qu’un mort pouvait avoir une vie et ne pas perdre le sens du temps, il aurait dû y penser.
Il ralluma le moteur et roula jusqu’à un petit hameau, non loin de celui où il vivait. Il déposa son nouvel ami, lui souhaita bonne soirée et reparti, plus réveillé que jamais.
Le lendemain, Tim parti tôt, encore, mais cette fois-ci il était de bonne humeur et avait hâte de retrouver ce brouillard qu’hier encore il détestait. Il aimait l’idée de se retrouver au milieu de fantômes. Peut-être allaient-ils travailler, peut-être rentraient-ils de soirées un peu trop arrosées, peut-être emmenaient-ils leurs enfants à l’école.
Une fois encore, la journée passa à une vitesse incroyable. Sur le chemin du retour, Tim s’arrêta sur le bas côté et attendit pendant plus d’une heure, mais personne ne vint.
Il ne croisa plus de fantômes pendant près de deux semaines, si bien qu’il fini par se dire qu’il avait rêvé toute cette histoire. C’est un jeudi, alors qu’il rentrait d’une journée particulièrement compliqué qu’il aperçu une silhouette sur le bord de la route. Encore une fois, lorsqu’il arriva à sa hauteur, elle avait disparue. Tim frappa son volant, frustré et triste.
-Vous avez une sale tête, dit une voix derrière lui.
Tim sauta en l’air et freina si fort que ce furent ces cotes à lui qui lui firent mal.
-Nom de Dieu, Donald, hurla-t-il en regarda dans son rétroviseur. Vous voulez me tuer ou quoi ?
-Vous plaisantez, c’est vous qui, tous les soirs, depuis prêt de deux semaines, vous arrêtez sur le bas coté. Vous savez, tous les fantômes ne sont pas gentils, vos parents nous vous ont pas dit qu’il était dangereux de trainer tard le soir ? Surtout quand il fait nuit ? Et de faire monter des inconnus dans sa voiture ? S’énerva Donald.
-J’ai 38 ans, et je doute qu’un fantôme puisse me faire du mal, rétorqua Tim.
-Vous êtes comme un bébé qui vient de découvrir un nouveau jouet, et si vous pensez qu’un fantôme ne peut pas vous faire de mal, c’est que vous êtes encore plus bête que vous en avez l’air ! Nom de Dieu, mais qui m’a fichu un garçon pareil …
-Eh, peut-être que j’en saurais un peu plus sur les fantômes si vous ne m’aviez pas ghosté pendant près de deux semaines ! S’énerva Tim.
-Si je ne vous avais pas quoi ? Demanda le vieil homme.
–Ghosté, ça veut dire zappé, ignoré, lâché … c’est un anglicisme …
-Donc, si je comprends bien, vous reprochez à un fantôme de vous avoir fantômé ? Demanda Donald avec un sourire aux lèvres.
Tim sourit, se rendant compte de l’ironie de la situation. Les deux hommes rirent de bon coeur et discutèrent un long moment. Donald expliqua le fonctionnement du monde des fantômes à Tim, l’informa des règles et des coutumes qui avaient été mises en place entre les morts et les vivants pour coexister pacifiquement. C’était très compliqué et Tim aurait besoin de temps pour tout assimiler, mais il était, comme Donald l’avait dit, comme un enfant. Il avait toujours aimé les histoires de fantômes et aujourd’hui, il en vivait une. Ils convinrent que Donald viendrait diner le soir suivant, et après plus d’une heure de discussion, Tim ralluma les phares et rentra chez lui, le sourire au lèvres et le coeur léger.
Ce soir là, il raconta tout à ses enfants, qui ne le crurent pas une seconde, mais firent comme si, bien trop heureux de voir leur père si heureux.
-Mais pourquoi on ne peut pas rattraper un fantôme ? Demanda Léo, le cadet.
-Mais parce que les fantômes fonctionnent comme les arc-en-ciel. Le temps d’arriver où ils étaient, ils sont déjà bien plus loin, répondit Tim.
Ce soir-là, la famille se coucha tout sourire : les enfants de voir leur père heureux, le père d’avoir enfin quelque chose à partager avec ses enfants.
Le lendemain soir, Tim rentra tôt, pour préparer le diner. Il avait demandé à Emy, ainsi qu’aux enfants, de se faire beaux pour leur invité. Tous convaincus que personne ne viendrait, avaient toutefois joué le jeu.
A dix-neuf heure tapante, on sonna à la porte. C’est Alice, l’aînée, qui alla ouvrir. Lorsque Tim entendit hurler, il sourit en repensant à sa réaction à lui, et hurla à travers le salon :
-Ce n’est rien, tout va bien, il est très gentil, tout va bien !!!
Donald, attendait en souriant sur la pas de la porte et ne franchit le seuil que lorsque Tim l’y invita.
Ils passèrent une soirée délicieuse et les enfants avaient des étoiles plein les yeux face à cet homme translucide. Plusieurs fois, ils demandèrent à Donald de s’allumer et de s’éteindre, ce qui fit beaucoup rire le vieil homme.
Une fois les enfants couchés, Emy et les deux hommes restèrent discuter un moment. Elle aussi voulait en apprendre plus sur les fantômes, la curiosité était de famille avait fait remarqué Donald.
-Vous m’avez dit que le brouillard pouvait parfois être assez lent, vous croyez que vos amis aimeraient avoir des taxis ? Demanda finalement Tim.
-Oh je suis sûr qu’ils adoreraient mais malheureusement, on a pas de voitures fantômes, ironisa Donald.
-Non, mais nous on a des voitures réelles, répondit Emy avec un grand sourire.
-Vous voulez dire que vous voudriez faire le taxi pour des fantômes ? Demanda Donald interloqué.
-Oui, ce serait super, on en apprendrait plus sur vous, on ferait des rencontres, et vous, vous pourriez vous déplacer plus facilement ! Répondit Tim tout enthousiaste.
Donald était très touché par cette proposition, mais il y avait de nombreuses raisons pour lesquelles les fantômes et les hommes ne se mêlaient que peu. L’une d’entre elles était que pour les vivants, les aspects matériels comptent plus que tout, l’argent notamment, hors une fois mort, l’argent ne sert plus à rien. Il ne pouvait pas y avoir de transaction entre les deux mondes, ce qui empêchait beaucoup d’interactions.
-Mais personne ne vous parle d’argent. On ne compte pas abandonner notre travail, on voudrait simplement rendre notre vie un peu plus belle, répondit Emy.
-Vous pourriez nous remercier en venant parfois nous voir, renchérit Tim, on vous emmène voir les gens que vous aimez et vous nous aidez à avoir une famille ?
Emu, Donald savait que beaucoup de ses amis se sentaient seuls et donneraient n’importe quoi pour avoir de nouveau une famille. Il promit de leur en parler et quitta ceux qui, il l’espérait, seraient sa future nouvelle famille.
Aujourd’hui, au coeur des terres, le brouillard se lève toujours, et dans deux petites maisons, au milieu des champs, les animaux et les hommes côtoient les morts. Tous les dimanches, on entend des rires innombrables provenant d’un petit hameau, et la nuit, quelques voitures circulent sur les routes de campagne avec un petit panneau lumineux « chauffeur fantôme » sur le toit.
Lilou.